14 octobre 2007

les prisons

«On devait quitter le château, c’était une décision qui semblait avoir été prise et contre laquelle ma mère s’insurgeait au bout du fil, on dormait dans les couloirs, en enfilade, de longs dortoirs dévorés par la pénombre et je m’éloignais doucement, mon sac auprès de moi, je ne voulais en aucun cas être associé à ma mère dans cette histoire, quitter ou pas, ce n’était pas ce qui comptait, l’important était de ne pas être en éveil — et de n’être pas en accord avec elle.
Et.
L’enfant courait à travers le bois, il était sûr de l’emplacement, il avait dit à son père qu’il y avait un autre enfant, en dessous, et le père avait alerté immédiatement la police qui, malgré ses doutes, avait suivi l’enfant. L’enfant avait décrit celui qui était enterré là-dessous, il avait dit que ce n’était pas un corps mais un gamin, debout, le visage levé vers le ciel, qui attendait qu’on le secoure, un visage rond aux cheveux noirs, la frange en arc de cercle sur le front haut, un Esquimau peut-être, ou un Péruvien, l’enfant avait frappé du poing une pierre dans la neige que la police avait marquée d’une croix rouge avant de se mettre à creuser, dégageant peu à peu une tranchée qui d’abord ne semblait mener à rien mais aboutissait à un élargissement. Le policier avait fait soudain un bond en arrière en découvrant le captif : il était debout, le visage tourné vers le ciel, les yeux en amande, aveugles et blancs, seulement ce n’était plus un enfant mais un adolescent laissé là, enfermé, abandonné, dont les traits marquaient toujours l’espoir d’être retrouvé — mais la mort, blanche elle aussi, l’avait trouvé la première, et à ses côtés, les autres enfants que renfermait la prison de glace.»

laurent herrou
écrivain