11 mars 2006

Oreiller cubistes

Mauvais rêves. Mon oreiller faisant quelques plis, je me l'imaginai devenu cubiste et me réveillai subitement, effrayé par l'idée que mon visage devienne également cubiste — ce qui ne serait guère sortable. Un peu plus tard, j'eus des ailes en balsa.

André-françois Ruaud
Editeur
Lyon - France

08 mars 2006

Un cauchemar de Barrie

Carnet 40, 1921-1922

Michael. Le 7 novembre 1922, j’ai rêvé qu’il m’était revenu ; sachant qu’il s’était noyé, je l’ai laissé dans l’ignorance de ce fait. Et nous avons passé une nouvelle année, semblable aux précédentes, jusqu’à ce que ce fatal 19 approchât de nouveau. Il devint très triste sans savoir pourquoi, et je craignais ce qui devait advenir mais ne lui laissais rien savoir. Et, comme ce jour avançait de plus en plus, il comprenait davantage, bien que je ne laissasse rien paraître. Peu à peu, chacun de nous sut que l’autre savait mais ne parlait toujours pas. Quand le jour arriva, j’avais réfléchi à certains plans afin de l’empêcher de me quitter à nouveau, sans espoir cependant quant à leurs chances de réussite. Il se leva la nuit, mit ses anciens vêtements et vint me regarder, croyant que je dormais. J’essayai de l’en empêcher mais il devait partir et je le savais, et il pensait que ce serait plus difficile si je ne le laissais pas partir seul, mais je vins avec lui, tenant sa main, et il aima ce geste. Quand nous arrivâmes au lieu – cet étang – il dit au revoir et entra dans l’eau et coula, comme précédemment. A ce moment, je pense que je me réveillai mais, sentant qu’il avait pénétré gaiement dans ma chambre, comme si une nouvelle année commençait pour nous deux. Ce qui précède est le rêve et ce qui suit les réflexions que j’ai faites à son sujet, à la seule exception que je savais dès son retour que je ne devais pas lui laisser entendre que quelque chose lui était arrivé – ce qui était, à proprement parler, vital. Tout doit se passer comme s’il était revenu d’une ordinaire absence. Si j’écris quelque chose à ce sujet, je dois faire comprendre que l’ancienne vie se poursuit précisément comme jadis, et assez longtemps pour que je cesse d’éprouver un malaise. Je n’ai aucune idée, jusqu’à ce que le jour fatal arrive, qu’il va m’être à nouveau repris. Je donne des détails de cette année supplémentaire que nous vivons tous les deux. Nous vivons assez ordinairement, mais nous sommes étrangement proches l’un de l’autre. Je fais certaines choses qu’il désirait autrefois et que je n’avais pas faites. Craintes de le gâter, lutte pour ne pas le faire. Comment, malgré ma souffrance, je devais le laisser partir au loin, quelquefois, afin qu’il eût la vie des jeunes gens. Il n’est pas nécessaire de lui donner un âge approchant de 21 ans. Il pourrait être plus jeune si cela me chante. Peut-être des pouvoirs sinistres et hostiles comme les nuages dans le livre féerique de M. James. Sa grande peur de l’eau qu’il me confie pendant cette année supplémentaire. (Comment cette confidence m’affecte) Il pourrait m’écrire de l’école au sujet de sa peur de l’eau quand il apprend à nager, ainsi cette vague ombre hante l’histoire. Elle pourrait s’appeler « Eau » - ou L’étang silencieux) ou le 19. Mary Hodgson [la nurse des Llewelyn-Davies] est de retour ? Il ne peut pas échapper à cette date fatale. Nos véritables lettres dedans ? Dans une certaine mesure, c’est étrange, ses goûts – ses dispositions – sont différents. De même, il semble obscurément savoir de nouvelles choses curieuses et avoir oublié d’autres choses. Cette fatale nuit, il vient à moi, les lèvres légèrement pincées, en disant qu’il va se baigner – qu’il doit partir – qu’il le doit. En rêve est-il revenu comme il était, un peu plus vieux ou à l’âge qu’il avait lorsqu’il m’a quitté – ou une année plus jeune ? Dans le dernier cas, cela signifierait qu’il ne peut dépasser un certain âge aussi bien qu’un certain jour. Dans les autres cas, c’est simplement le jour en lui-même qui est un obstacle. Essayer de l’enfermer, de le faire surveiller par d’autres – il est dans une telle souffrance morale que je dois le laisser partir. Il va à l’étang. Aller avec lui ce jour fatal est aussi triste que l’histoire de Charles Lamb traversant les champs avec sa sœur pour l’amener à l’asile. Sa main sur mon épaule. Il faut qu’il soit clair qu’il ne s’agit en aucun cas d’un suicide. Je l’ai entraîné afin qu’il soit un nageur hors pair, pour qu’il puisse se défendre le jour fatal. (Le jour est-il mieux que la nuit ?) Quand il réapparaît, c’est aussi soudain que s’il avait été dans la pièce voisine. Il ne sait pas qu’il est parti. Effet sur ma propre vie. Abandonne travail ordinaire – il me réprimande au sujet de ma paresse. Sa joie de vivre plus grande que jamais. Enthousiasme de l’enfance qui revient. C’est comme si longtemps après avoir écrit Peter Pan, son véritable sens m’apparaissait – effort désespéré pour grandir, mais échec. En enquêtant sur son passé, je me rends compte qu’il a toujours eu du mal à passer le dix-neuf de chaque mois ; il est malade – une fois, il s’est perdu, etc. J’assèche l’étang – l’eau revient. Ou je construis mur très élevé, pourtant on le retrouve noyé. (Nous essayons de partir au loin – un étang similaire s’y trouve – terrible quand il prend vaguement conscience de quoi il s’agit, ce doit être un jour affreux pour lui. Tout se passe comme si l’étang le suivait. Une histoire d’amour ? (Comment en parlerais-je sachant qu’il va à nouveau partir ?)

James Matthew Barrie
1860 - 1937
Ecrivain & auteur écossais

Il n'est pas inutile de préciser que Michael, le fils adoptif de Barrie, s'est noyé (suicidé ?) avec son ami (amant ?) et que le cauchemar de Barrie est atrocement tragique.

Traduction de C.-A. F.

05 mars 2006

L'âme de ma mère cette nuit dans mes songes

Une femme erre dans la nuit, j¹entends sa plainte douce, puis rauque. Au loin l'orage se mêle à ces gémissements. Je m'accroupis et j'attends.

Une forme immense et noire et très inquiétante s'approche, m'enveloppe... J'ai très peur, puis je reconnais ma mère; elle applique tendrement ses doigts sur mes cheveux et pleure.

Je m'éveille brusquement.

Aline Biva